Depuis le XIXe siècle, l’historiographie de l’artisan est marquée par le paradigme de l’artisan-producteur, c’est-à-dire de l’artisan confiné, comme sujet historique, à son activité productrice. À ce titre, l’historiographie récente a mis l’accent sur l’étude des ateliers, qu’ils soient permanents ou temporaires, ainsi que, plus largement, sur les lieux de production (Balmelle, 1986 ; Vivier, 1992 ; Poursat, 1996 ; Blondé & Muller, 1998 ; Chapelot, 2015 ; Phialon, 2016 ; Denti & Villette, 2019 ; Leroy, 2014 & 2019 ; Beghelli & Gil, 2019). Ces recherches ont permis d’explorer le monde artisanal sous divers angles, comme l’interaction entre l’atelier et son environnement (Sanidas, 2013), les réseaux de diffusion du savoir-faire ou des objets eux-mêmes (Beghelli, 2023), les dynamiques relationnelles au sein même des lieux de production (Bernardi, 2009 ; Flohr, 2013), la spécialisation du travail (Costin, 1998 ; Harris, 2002 ; Spielmann, 2002 ; Loveluck, 2015 ; La Salvia, 2020 ; Lewis, 2020) ou encore les rapports de production (Freu, 2022; Beaudet, 2024). 

Lorsque l’artisan est envisagé comme acteur social, il demeure toutefois marqué par son activité productrice et par les préconceptions, parfois négatives, qui y sont associées, héritées des représentations aristocratiques de leur société. Dès lors qu’ils quittaient leurs ateliers, les Anciens ne manquaient pas de les dépeindre comme des fauteurs de troubles (Diodore, I, 74, 7 ; Actes 19, 24-42). Cette perception péjorative a été reprise par certains historiens du début du XXe siècle en lien avec les préoccupations de leur temps (Guiraud, 1900, 211-12) et continue d’imprégner certaines études actuelles, qui soulignent le mépris ou le rejet des artisans dans les sociétés prémodernes (Le Goff, 1977 ; Ferdière, 2001 ; Fossier, 2002 ; Wright, 2019). Selon les approches historiographiques et documentaires, l’artisan bénéficie néanmoins d’une relecture plus nuancée et positive (Burford, 1972 ; Coatsworth & Pinder, 2002), qui permet de l’envisager au sein du « monde du travail » (Tran, 2013 ; Hawkins, 2016 ; Freu, 2018). 

Ces perspectives ont donné lieu à une grande diversité d’études sur les artisans et artisanes. Qu’il s’agisse de leurs pratiques religieuses, tant dans l’atelier qu’en dehors (Gillis, 2021 ; Bendeguz, 2021), de leurs mobilités (Coulié, 2000 ; Feyel, 2006 ; Pinar Gil, 2017 ; Beghelli, 2014), de leur place dans leur communauté (Brumfield, 1998 ; Casier, 2007 ; Costin, 1998 ; Castagnetti, 2015 ; Beaudet, 2025) ou encore de leurs relations mutuelles (Vincent, 1994 ; Liu, 2016 ; Flohr, 2016 ; Verboven, 2011 ; Racine, 1985 ; Arnaoutoglou, 2011 & 2021), les études récentes montrent un intérêt croissant pour ces thématiques. C’est dans cette dynamique que s’inscrit ce colloque, dont l’objectif est de se recentrer sur l’artisan – et sur l’artisane – et de s’interroger sur sa place dans son environnement social, en dehors du prisme des espaces et des rapports à la production. 

Envisager l’artisan en dehors de son activité professionnelle, de son savoir-faire et de sa créativité permet de le reconnaître comme un acteur social à part entière, dont le champ d’activité ne se limite pas aux tâches dites artisanales, mais recouvre un ensemble plus large de pratiques sociales, caractéristiques de chaque société.  Nous invitons donc les propositions à explorer la place des artisans au sein des pratiques suivantes :  

  • La vie religieuse 
  • Les transferts fonciers 
  • Les prêts monétaires 
  • La participation à la vie publique 
  • Les relations sociales et familiales 
  • La médiation des conflits 
  • L’évergétisme
  • La participation militaire  
  • L’exercice de fonctions administratives. 

Par souci d’inclusion, nous adoptons une définition large de l’« artisan », englobant toute personne identifiée par un titre d’occupation ou par sa technè/ars, c’est-à-dire son savoir-faire (forgeron, tuilier, tisserand, poète, médecin), par la possession ou l’usage d’outils spécifiques (pinces, pesons, moules), ou encore par sa proximité avec un lieu de production (chantier, atelier, zone de fabrication). Cette approche transdisciplinaire s’adresse aux historiens, archéologues, anthropologues et spécialistes des sociétés prémodernes, quelle que soit leur aire géographique d’étude. Nous encourageons les recherches portant sur les régions non-occidentales, notamment les mondes musulmans, mésoaméricains, l’Inde ou la Chine. 

Les propositions de communication (350 mots maximum) devront présenter clairement la problématique, la méthode et les documents mobilisées. Elles seront accompagnées d’une courte biographie (200 mots maximum) mentionnant l’affiliation institutionnelle, les principaux axes de recherche et les publications majeures le cas échéant. Les propositions sont à envoyer avant le 15 octobre 2025 à alexandre.beaudet.2@ulaval.ca & jordan.monaci.1@ulaval.ca

Comité scientifique : Anne-Catherine Gillis, Anna Kelley, Robert Marcoux, Nicolas Tran


Partagez :